Présentation

Présentation du séminaire

« Les soupers [du Régent] étaient toujours en compagnie fort étrange : […] quelques gens obscurs […] sans nom, brillant par leur esprit ou leur débauche. » (Saint-Simon,
Mémoires, XIII, 18.)

« On va de fête en fête, de bal en bal. Surtout les bals masqués, champ d’aventures furtives, folles loteries de femmes, de plaisirs d’un instant. » (Michelet, Histoire de France, XVII, 12.)

La réputation de la Régence la précède. Période de libération politique et économique, elle est longtemps restée décrite comme une période de libération des mœurs qui aurait laissé libre cours aux débauches les plus inventives. En 1975, le film de Bertrand Tavernier et son titre emblématique, Que la fête commence…, prolongeaient de quelques lignes encore le mythe noir d’une Régence rose dont il reste encore à mesurer l’ampleur véritable. Si l’esprit propre à la Régence fut celui de la fête, quelle était vraiment cette fête ? Comment les Français se divertissaient-ils ? À quelles occasions ? Selon quels moyens ? Et dans quelles proportions ?

Retrouver les pratiques festives de la Régence dans leur intégrité suppose de suivre les traces laissées jusqu’à nous par la mémoire historique. Or, cette mémoire est encore traversée de fantasmes coriaces. Il faut s’en détacher, ce que ce séminaire a tenté de faire, pendant deux ans.

1. Tout d’abord, il a fallu restituer la manière de penser et de sentir des hommes et des femmes du premier XVIIIe siècle. Il s’est agi renouer avec l’expérience sensible de la fête dans ses usages les plus individuels, comme le chant, la danse et la spiritualité, en ponctuant ce premier parcours d’ateliers pratiques, et en le doublant d’une interrogation sérieuse sur la légende liée à la Régence, et sur les formes parfois surprenantes que sa mémoire a prises dans les temps qui l’ont suivie.

2. Ce n’est qu’après cet effort de mise en situation et de prudence historiographique que l’on a pu pleinement comprendre l’art de la fête sous la Régence dans ses réalisations les plus mémorables ; mémorables par leur ampleur (les foires), par leur nouveauté (le bal de l’Opéra), ou encore leur caractère exceptionnel (le sacre). La Régence en fête, si elle existe bel et bien, n’apparaît alors pas seulement comme un objet d’étude particulièrement vivace, mais laisse entrevoir les traces d’un patrimoine matériel et immatériel à sauvegarder.

ACCÉDER AU PROGRAMME DU SÉMINAIRE (2019-2020)

"Que la fête commence", film de Bertrand Tavernier (1975).

Que la fête commence… — Film de Bertrand Tavernier, 1975

PRÉSENTATION 2018-2019

La réputation de la Régence n’est plus à faire : débauches, licences, pamphlets irrévérencieux… Elle est restée longtemps décrite, comme dans la Régence galante d’Augustin Challamel (1861) ou du dix-septième volume de l’édition de 1877 de l’Histoire de France de Jules Michelet, comme une période de libération politique et économique certes, mais surtout comme une période de libération des mœurs. Elle aurait ainsi laissé libre cours au sein des cercles de pouvoir aux débauches les plus inventives dont le film de Bertrand Tavernier, Que la fête commence !, offrait encore en 1975 une peinture haute en couleurs. À l’inverse, la réappropriation récente de cette période par l’historiographie semble avoir pour partie laissé de côté, pour contrecarrer cette légende noire, les aspects de la vie culturelle et littéraire de cette période liés à l’art de la fêteau profit d’aspects plus proprement politiques ; l’histoire culturelle s’est, pour l’essentiel, limitée à faire de la Régence soit l’aboutissement libérateur des trop grandes privations du long règne du Roi-Soleil, soit le signe précurseur de la Révolution Française à venir. Elle n’a jusqu’ici proposé aucune synthèse d’ensemble sur le rapport qu’a entretenu cette période particulière avec certains types de pratiques festives alors même que ces pratiques sont au cœur du débat historiographique. Qu’en est-il vraiment ? Comment les Français se divertissent-ils sous la Régence ? À quelles occasions ? Selon quels moyens ? Dans quelles proportions ?

Une étude de l’art de la fête au temps de la Régence peut révéler les caractéristiques propres de la culture de cette période. Elle apparaît tiraillée entre son attachement aux festivités traditionnelles léguées par la tradition et son souci de renouvellement des pratiques festives, caractérisées à la fois par la persistance de fêtes religieuses pluriséculaires et l’apparition de nouveaux types de fêtes comme celle du bal de l’Opéra, instituée dès 1715, ou les mutations du Théâtre de la foire. Mettre au jour de telles dynamiques et les approcher de manière pratique, c’est ce qu’entend faire ce séminaire à la lumière de différents types de littératures du temps de la Régence, testimoniales, satiriques, poétiques, théâtrales et didactiques. La fête, publique ou privée, religieuse ou profane, est à l’époque le lieu d’une profusion faite de mélanges. C’est pourquoi l’étude de la fête ne pourra se dispenser d’aller consulter d’autre types de langages que celui de la littérature ; langages de la musique, des arts du spectacle, de la danse. À travers une approche transdisciplinaire, nous tenterons de montrer comment se pratique la fête au temps de la Régence, tant comme production artistique que source de débat culturel ; il sera question d’en faire une fenêtre ouverte sur un monde et une sensibilité oubliés.

Le principe moteur d’un séminaire étant l’échange dynamique entre organisateurs et participants, nous fonderons le programme sur l’alternance de deux types de séances. Les premières, considérées comme des ateliers, donneront lieu à l’élaboration commune de matériaux pédagogiques à partir des sources sur des fêtes précises (la foire de Saint-Germain, le bal de l’Opéra, le sacre de Louis XV, etc.). Les secondes seront l’occasion de prolonger l’élaboration de ce travail commun par une discussion avec divers intervenants, issus tant du monde universitaire que du milieu des arts du spectacle. Ces rencontres pourront ainsi apporter une perspective plus concrète sur notre sujet et permettre de construire des ponts entre le monde de la recherche et les milieux artistiques contemporains. Nous organiserons aussi, en lien avec les travaux menés au cours du séminaire, des concerts ou des lectures afin de proposer une approche plus vivante de notre sujet.

En invitant à l’élaboration commune d’un savoir par l’implication des participants et la confrontation à des champs de savoirs inhabituels, nous serons au cœur même de notre sujet, la fête se voulant, pour citer Lucien Bély,

«  un temps de l’altérité, une suspension ou une rupture de l’ordre quotidien, un temps de l’exaltation des émotions suscitées par l’ensevelissement de la grisaille ordinaire sous une profusion de lumières dans un vacarme étourdissant, un temps de l’excès avec le basculement dans une séquence placée sous le signe de la ripaille, des libations, du chant, du jeu et de la danse jusqu’à l’épuisement des corps. » (Lucien Bély (dir.), Dictionnaire de l’Ancien Régime, p. 543.)